J'ai écrit ce CR de la course sans consulter l'enregistrement de mon Polar, seulement avec le souvenir de mes sensations. J'ai donc facilement pu oublier ou intervertir des événements. Je donne seulement quelques chiffres, ceux que j'ai mémorisés. Je verrai par la suite si ça colle ou pas.
Cela faisait plus de trois ans, c'est à
dire à l'époque de mon premier 100 bornes au printemps 2010 que je
fantasmais sur cette épreuve mythique, ces fameux 245,3 (ou un peu
plus?) d'asphalte entre l'Acropole à Athènes et la statue de
Léonidas à Sparte, avec le fameux passage de la montagne via un
sentier escarpé à gravir dans la nuit aux deux tiers de la
distance. Une course qui n'est ni la plus longue, ni la plus
vallonnée, ni la plus chaude, ni la plus belle au niveau du
parcours, mais qui est un peu tout ça, et qui surtout, avec ses
barrières horaires impitoyables ne laisse place ni à l'erreur, ni
au repos pour atteindre Sparte avant 19 heures le samedi en étant
parti d'Athènes à 7 heures dans les lueurs de l'aube.
J'avais bien sûr étudié la course et
même réalisé un dossier sur mon blog, lu des kilomètres de CR,
regardé des heures de vidéos, mais je ne me sentais pas prêt, car
bien que maîtrisant assez bien le 100 km et possédant une réserve
de « vitesse » à priori amplement suffisante pour
aborder sereinement le Sparte (8H24 à Belvès au printemps), j'avais
échoué dans mes trois dernières tentatives sur des courses de
durée supérieure après des débuts réussis à Vierzon il y a deux
ans (227,6 km) :
- abandon à l'Ultrabalaton en Hongrie au printemps 2012 (j'ai mal géré les plus de 40°C) au bout de 162 km (sur 212).
- plus d'envie au Championnats de France de 24H à Vierzon en 2012 (je suis allé dormir après 100 km de course alors que j'aurais pu poursuivre mais la marque de 230 km était déjà devenue inaccessible, et je n'étais plus motivé).
- Et surtout abandon sur blessure à la hanche droite après 170 km aux 24H des Yvelines début Juin de cette année alors qu'au contraire je réalisais une bonne course avec du plaisir et sans trop forcer sur des bases de 215 km.
Cette blessure s'est produite quelques
jours seulement après que j'ai envoyé mon paiement de 400 € pour
l'inscription, si elle s'était produite juste avant, il est probable
que j'aurais renoncé, mon billet d'avion étant remboursable.
Après divers diagnostics erronés
(fracture de fatigue, tendinite), il s'avéra que s'était un soucis
cartilagineux avec épanchement de synovie, en clair une forme
d'arthrose. J'ai pu reprendre progressivement l'entraînement en
Juillet, puis effectuer un mois d'Août honorable au niveau
kilométrique (620 km), conclu par un 9H30 sans forcer et sans signe
de blessure aux 100 km de Theillay. En Septembre je n'ai pas fait
grand chose car j'ai attrapé la crève et ça a duré près de trois
semaines (tout juste terminé avant le Sparte), et surtout j'ai eu
une petite gêne au genou droit sur une ou deux séances. Mais comme
les conseils avisés de coureurs ayant déjà terminé le Sparte
(Denis Dupoirieux, Christophe Rochotte) étaient de ne pas en faire
beaucoup deux, et plutôt trois semaines avant la course, je me suis
dit qu'au moins j'allais me présenter frais aussi bien physiquement
que mentalement.
Sur le plan du contenu de
l'entraînement, c'était assez varié, avec le plus souvent une
séance proche de l'allure marathon le samedi (15 à 20 km à cette
allure) servent de pré-fatigue à une sortie longue le dimanche
(plus ou moins un marathon vallonné avec un peu de marche rapide en
côte), et souvent, en plus des sorties de récupération, deux
autres séance qualitatives dans la semaine : une de résistance
dure (allure 10 km le plus souvent, genre 8 x 1000m), et une séance
rapide (des 200, 300, ou 400m avec beaucoup de temps de récup pour
travailler la foulée).
Par contre, je n'ai fait qu'une seule
séance de nuit, et quasiment pas de travail en excentrique en
descente de peur de me re-blesser. Je n'ai pas non plus utilisé mes
VFF pour les mêmes raisons.
Quand je compare mon kilométrage avec
celui de certains,, je me sentais davantage préparé à courir un
marathon en 2H50 (chrono que me laissait entrevoir mes sensations et
mon cardio) qu'à terminer le Spartathlon. J'aurais peut-être mieux
fait d'aller à Berlin qu'à Athènes...
Pour la chaleur, j'étais relativement
bien préparé, ayant couru pas mal de fois dans la fourchette 28 /
35 degrés sans soucis particulier.
Par contre, j'ai fait l'impasse sur la
partie trail, ne voulant pas là non plus prendre de risque. Mon
entraînement a été 20% piste / 80% bitume.
Et comme d'habitude, ma préparation
n'a comporté que de la course à pied, aucun entraînement croisé
(à part un peu de marche rapide), zéro musculation. Tout juste si
j'ai fait quelques séries de pompes et quelques étirements. Je mise
tout sur l'équilibre, passer en finesse et non en force, le plus
relâché possible le plus longtemps possible.
Sur le plan mental, j'ai voulu faire un
peu le vide et me retrouver avec moi-même. J'ai donc déserté
Internet (forum ADDM, Facebook, …), et je n'ai pas trop suivi ce
qui se passait en ultra cet été, je m'en excuse. Je n'ai même pas
lu de récits, ni regardé de vidéos du Spartathlon, de toute façon
tout était déjà depuis longtemps dans ma tête. J'ai aussi fait un
peu de relaxation.
Le Parcours |
Profil (D+ ~ 2650m) |
Avant course et préparatifs
N'ayant pas d'équipe d'assistance,
quelques jours avant de partir en Grèce, je réfléchis au placement
de mes différents sacs. Il est possible de faire déposer un sac à
tous les CP que l'on souhaite sur les 75 que compte le parcours. Je
vais opter pour un sac tous les 30 km environ, sauf le 1er au CP N°11
(km 42,2), soit 7 sacs en tout. Chaque sac contient 3 sachets de
poudre énergétique (alternance sucré / salé, plutôt salé la
nuit). Je vais prendre 25 sachets de 50 grammes chacun en tout et je
compléterai en fonction de mes envies et de ce qu'il y a aux ravitos
(bananes, biscuits salés, café, fruits secs, bière, …). Le 2e
sac est au CP N°19 (km 69,8). Je laisse ma frontale au CP N°29 (km
102,1) avant que la nuit tombe, un t-shirt manches longues au N°38
(km 132,6) quand il fera plus frais, puis des affaires plus chaudes
(coupe vent, gants, bandeau) avant de grimper la montagne (CP N°47,
km 159,5), puis des t-shirt manches courtes au CP N°57 (km 186,1) et
au CP N°66, (km 215,7). Les sacs contiennent aussi du PQ, de la
crème solaire, des chaussettes, et de la NOK.
Après avoir réfléchi à la façon la
plus simple de mémoriser tout ça, je décide de tout noter sur mon
bidon : je découpe la course en 25 portions de 10 km environ,
chaque portion étant terminée par Un CP où je dois recharger mon
bidon. J'ai également noté les barrières horaires et les CP où
j'ai un sac pour ne pas oublier de la demander.
Coté matériel, c'est simple :
t-shirt manches courtes sauf quand il fera frais, chaussures Asics
GT-2000, après avoir hésité avec les DS-Trainer plus légères. Je
courrai avec les couleurs du club du début à la fin. Sinon un short
et un porte bidon de 600mL avec une poche pouvant juste contenir 2 ou
3 sachets + du PQ, et bien sûr une casquette avec un voile amovible
à l'arrière que j'ai découpé dans un vieux t-shirt. Je ne
prendrai pas de ceinture cardio, mais seulement l'accéléromètre
qui m'assurera au début de ne pas partir trop vite, puis à me
motiver à augmenter un peu mon allure plus tard. Et surtout, pas de
téléphone, j'y vais pour vivre la course, pas pour lire des SMS ou
prendre des photos.
Bidon Roadbook |
Remise des dossards à l'hôtel London |
Le lendemain c'est le moment de déposer
les sacs dans les cartons numérotés par CP, puis c'est le briefing
(il y a même un briefing en Français), la pression monte d'un cran
(et là je ne parle plus des bières qui constituent le principal
moyen de s'hydrater ici).
Dépôt des drop bags à l'hôtel London |
Comme d'habitude, je prends un petit
déjeuner plus que léger. Vérification de la tenue et du matériel
préparé la veille, crème solaire (je crois que j'ai oublié d'en
mettre sur les mollets), crème nok sur les points de frottement,
mais pas sur les pieds (comme d'habitude, je n'ai effectué aucune
préparation à ce niveau à part me couper proprement les ongles).
Le bus nous emmène sur le lieu de
départ à l'Acropole. J'ai surtout envie de dormir, je n'en mène
pas large, je revois même à la baisse mes chances de terminer que
j'estimais autour de 50%.
La zone de départ est agréable,
surtout que la température est douce, il fait encore nuit, l'aube va
bientôt pointer. Il règne une ambiance spéciale, à la fois zen et
tendue : photos de groupe, encouragements et conseils de
dernière minute, le lieu est chargé d'histoire. J'aperçois Mike
Morton (http://www.runmortonrun.com)
le grand favori, même si c'est sa première participation, il court
sans assistance. C'est intéressant d'observer la diversité de la
morphologie des participants, mais il y a tout de même une grande
majorité de coureurs très affûtés. Coté textile et matériel,
c'est encore plus varié, cela va du short / débardeur à tout le
corps intégralement couvert (dont une sorte de ninja tout en
noir...). Pour les chaussures, ça va des quasi minimalistes aux
Hoka. Pour les accessoires, ça va de rien du tout à la totale camel
bak / Garmin / Go-Pro, avec une majorité de porte bidon ou bidon à
main. Je me demande quand même ce que je fous là, de toute façon
maintenant c'est trop tard pour reculer...
Les Français au départ (+ Daniel et Andrei) |
Athènes Acropole – Corinthe (CP N°22, km 80,0)
Le top départ est donné à 7 heures
pile, le peloton de 321 coureurs s'ébranle tranquillement à part
certains favoris et quelques kamikazes. Je me suis placé vers
l'arrière pour mieux en profiter, l'émotion est dure à décrire,
ça y est j'y suis enfin, c'est presque dur à croire !
La pression retombe peu à peu,
j'essaie de rentrer dans ma course mais c'est encore trop tôt, j'ai
toujours sommeil et en plus il faut être très attentif entre la
circulation, les autres coureurs, et divers obstacles dont des chiens
plutôt pacifiques mais parfois imprévisibles. Je vais remonter une
partie du paquet ce qui permet de souhaiter bonne chance à quelques
coureurs Français dont Gilles. Le gros de la troupe est ensuite
bloqué brièvement à un passage à niveaux. Les jambes sont plutôt
bonnes, ma hanche droite couine un tout petit peu, mais c'est normal
à cette-heure.
Je me mets automatiquement en Cyrano
sur un cycle de 12 minutes avec à peine 40 secondes de marche pour
le moment. Les premiers ravitos se succèdent ainsi que les
habituelles pauses techniques du début de course qui s'espacent,
nous nous éloignons du centre, la circulation est moins intense mais
plus rapide, le soleil fait sont apparition, c'est agréable.
J'avance bien, assez relâché, j'ai même l'impression de me reposer
tout en courant. Je cours avec des coureurs qui sont parmi les
favoris : Florian Reus, Stu Thoms, Michael Vanicek, Daniel
Oralek. Je sais qu'ils démarrent prudemment et sont capables de
maintenir l'allure tout le long, mais peut-être est-ce que je pars
tout de même un peu vite ? Je progresse autour de 11 km/h.
Le passage à Eleusis (vers le semi)
est agréable, quelques ruines et un groupes d'écoliers. Je me prête
au jeu en tapant dans les mains. Je commence à me détendre. Il ne
fait pas encore trop chaud, mais je commence à boire un peu plus et
à m'éponger à chaque CP.
La bonne nouvelle c'est qu'il y a des
morceaux de bananes à quasiment tous les ravitaillements, j'en
prends deux ou trois presque chaque fois. Je dépasse Laurence et
Juan au gré d'un ravito et on se souhaite bonne route.
épongeage à un des premiers CP |
Toute gêne à la hanche a maintenant
disparu avec la chaleur qui monte, même la fatigue semble diminuer,
je suis bien éveillé. Le prochain mini objectif est d'atteindre la
marathon dans cet état. Le parcours est relativement roulant à ce
niveau. Il y a quelques passages agréables en bord de mer avant que
la route ne rejoigne l'intérieur avec des zones péri-urbaines
moyennement agréables. Depuis le départ je ne cours jamais seul, il
y a encore une certaine densité autour de mon allure de croisière.
Quelques mots échangés en anglais, souvent c'est du genre « first
time here ? », « Did you finish before », …
Tout le monde est encore frais et optimiste avec la sensation de
pouvoir courir indéfiniment. Le temps passé aux ravitos est minime,
les bénévoles sont nombreux et efficaces. Quelques mots de
remerciement, des gestes, des regards suffisent.
Mon premier sac est positionné au
marathon (Mégare, CP N°11) que j'atteins en 3H58 (j'avais prévu
une fourchette de 4H-4H15). Il commence à faire chaud, le soleil est
déjà très haut à 11 heures. Je me contente de prendre mes
recharges énergétiques, je n'utilise pas la crème solaire pourtant
présente dans mon sac.
Juste après, sous un pont, il y a
encore des écoliers, et une grosse ambiance, je tape dans un maximum
de mains, ça booste avant d'entamer une portion plus compliquée.
Groupe d'écoliers après Mégare |
Entre mer et roche |
Vers le km 50 |
C'est par là que je sens une ampoule
en formation sous la plante du pied droit. Bizarre, ça ne m'arrive
jamais aussi tôt, il faut dire que j'ai mis des chaussettes que je
n'avais pas encore portées sur du long, et peut être aussi y a t-il
un pli. Cela ne me perturbe pas plus que ça, je m'applique à
continuer à courir bien en ligne pour ne surtout pas compenser. Un
peu plus tard, même punition coté gauche, mais vers le talon, au
moins ça ré-équilibre.
Depuis un certain nombre de kilomètres
un vent de face allant en forcissant s'est installé donnant une
fausse impression de fraîcheur, mais rendant plus coûteuse en
énergie la progression.
Le temps passe assez vite, l'Isthme de
Corinthe se rapproche, l'environnement devient à nouveau
industriel : c'est une succession de raffineries. Le ciel
s'assombrit, chic de l'ombre... Ce ne sont que les émanations des
raffineries. Même que ça commence à puer, c'est justement à cet
endroit que j'ai placé mon second sac vers le 70e km, mauvaise
pioche...
Je décide donc de ne pas m'attarder, je m'assois vite fait
pour me remettre un peu de crème solaire, mais que sur le visage, je
suis trop pressé de repartir pour m'éloigner de cette pollution,
limite envie de gerber...
Drops bags au CP N°19 / 69,8 km (le mien est sur le 2e rangée) |
Corinthe approche. Après une belle
bosse et un passage peu agréable et très venteux le long d'une voie
rapide, c'est enfin la fameuse passerelle jaune au dessus du canal :
Juste beau et impressionnant, quelques instants de marche pour
savourer, un coureur japonais prends des photos.
Quelques minutes plus tard, je débouche
au premier gros point de contrôle : Le CP N°22 (Hellas Can) au
km 80, et je fais bipper le 1er tapis : un coup d'œil sur la
montre : 8H05 de course, soit 1H25 d'avance sur la barrière
horaire (8H15-8H30 prévus), une pensée pour tous ceux qui me
suivent sur Internet en France, ils doivent être rassurés. Un
coucou à Françoise et aux autres accompagnateurs qui attendent leur
coureur. Je crois qu'il n'y a plus que Wilfrid et Jean-Pierre comme
Français devant (+ Daniel bien sûr).
Arrivée sur le 1er tapis à Corynthe (CP N°22, km 80,0) |
Corinthe – Némée (CP N°35, km
123,3)
Il y a une descente en sortant. Je me
retrouve rapidement seul pour la première fois, sans coureur devant
ni derrière, pas de voitures non plus sur cette petite route qui
prend pour un temps la direction du nord-ouest. Bienvenue dans le
Péloponnèse, la course est véritablement lancée cette fois !
Je ne me suis volontairement donné aucun temps de passage à partir
de Corinthe histoire de ne pas stresser inutilement. Je sais que j'ai
pas mal d'avance, je baisse volontairement mon niveau d'effort
d'encore un cran, l'objectif est désormais d'arriver aussi frais à
la tombée du jour.
Cette fois plus d'air, le soleil est
généreux en cette après-midi sans nuages. La route est plaisante,
juste vallonnée ce qu'il faut pour ne pas être monotone sans que
cela empêche la course. C'est le domaine des oliviers, des vignes,
et ds vergers.
<<Photo oliviers / vignes>>
Malheureusement tout le monde n'apprécie pas. Je double un Suédois à l'arrêt plié en deux en train de vomir (pourtant 5e l'an dernier alors que c'était nettement plus chaud), puis Yuji Sakai au ralenti, un Japonais ayant déjà fait un podium. L'ultra n'est heureusement pas une science exacte, et je sais que je peux basculer dans leur état d'un moment à l'autre.
<<Photo oliviers / vignes>>
Malheureusement tout le monde n'apprécie pas. Je double un Suédois à l'arrêt plié en deux en train de vomir (pourtant 5e l'an dernier alors que c'était nettement plus chaud), puis Yuji Sakai au ralenti, un Japonais ayant déjà fait un podium. L'ultra n'est heureusement pas une science exacte, et je sais que je peux basculer dans leur état d'un moment à l'autre.
Mais pour le moment je profite à fond
de la course, toujours sur le même rythme d'alternance course /
marche de 12 minutes, j'ai un juste un peu rallongé la portion de
marche, mais toujours sous la minute.
Je fais le yoyo avec deux Norvégiens,
dont un fameux viking à barbichette, une sorte de Gilles nordique
qui a déjà bouclé une dizaine de fois l'épreuve ! Ils sont
aussi sur un genre de Cyrano, mais ils courent vite et marchent plus
lentement et longtemps que moi, le tout pour une vitesse de croisière
similaire.
Le passage dans l'Ancienne Corinthe (93
km) est superbe : ruines et montagne en fond. Moral au top, ça
avance toujours avec fluidité vers la marque du 100 bornes.
Par moments il y a sur notre droite une
vue superbe sur la mer Ionienne que nous surplombons. C'est plutôt
descendant jusqu'au village d'Assos qui est situé pile aux 100 km.
C'est juste à l'entrée de celui-ci que je rejoins Jean-Pierre,
parti vite comme à son habitude et qui est maintenant dans la
gestion de son avance. On discute un peu, signature de quelques
autographes pour des enfants. Nous passons au CP en 10H28. Il y a une
belle ambiance avec des jeunes filles en costume traditionnelles qui
nous accueillent en nous lançant des pétales de fleurs.
Passage à Ancienne Corinthe (CP N°26, 93,0 km) |
Assos (CP N°28, 100,1 km) |
La route file désormais vers le sud,
le soleil décline. Toujours pas de baisse de régime, l'allure
diminue, mais c'est parce que la route commence à s'élever, la
pente n'est pas très forte mais il faut s'économiser car je sais
que plus tard dans la nuit je serais très certainement dans le dur,
et le plus tard sera la mieux. Je raccourcis la foulée et j'ajoute
un peu plus de marche.
Je cours désormais plus ou moins avec
un Grec (Vlachos je crois) qui semble connaître tout le monde à
chaque CP et qui est beaucoup encouragé. C'est motivant pour rester
au contact et avancer. Le son des cigales est parfois assourdissant
et couvre le rythme encore léger des foulées.
La nuit est désormais presque tombée,
je retourne ma casquette et je mets la frontale après avoir enlevé
le voile. Je n'ai couru qu'une seule fois à l'entraînement par nuit
noire, et j'appréhende un peu car j'ai peur de me perdre en manquant
une bifurcation : Certains marquages au sol sont à moitié
effacées, il faut être bien concentré aux intersections. Il n'y a
qu'un petit croissant de lune, par contre le ciel étoilé est
superbe. La température est maintenant très agréable.
Tous les voyants sont au vert en
arrivant au 2e gros CP (Némée) qui se situe juste à mi-course,
enfin kilométriquement parlant, car je sais que le plus dur est
encore devant, loin devant. Mais c'est déjà ça de pris d'arriver
là avec tous les voyants au vert et une avance confortable sur les
barrières horaires (je n'ai même pas regardé combien). Une caméra
plonge quasiment dans mon bidon pendant que je le remplis. Comme à
Corinthe (mais il y a beaucoup moins de monde), je ne m'attarde pas
et je m'enfonce dans la nuit.
Némée – Malandreni (CP N°40, km
139,8)
Soudain l'ampoule du pied droit éclate,
ça devait être une grosse ampoule car j'ai le pied trempé. C'est
mauvais signe, le pied risque de gonfler. Je pense à m'arrêter au
CP N°38 où j'ai mon prochain sac pour voir l'état de mes pieds et
changer de chaussettes.
Je continue plus lentement en essayant
de courir relâché comme si de rien n'était, mais je ne me sens pas
trop bien au niveau de l'estomac non plus. Je vomis peu après, c'est
la première fois que ça m'arrive en course (pensée pour Vincent70,
ça me fait sourire). Heureusement de ce coté les choses rentrent
assez vite dans l'ordre, ça devait être le trop plein de bananes du
ravito précédent (d'ailleurs un suiveur qui assiste un coureur qui
doit progresser non loin de moi pendant un certain temps m'a surnommé
« banana guy ».
N'empêche que j'ai beaucoup moins de
jus, et surtout plus aucun plaisir à courir, je me demande ce que je
fous là. J'ai vraiment l'impression de me traîner, même si en fait
j'avance juste un peu plus lentement. Habité par ces pensées
négatives, je n'ai plus fait attention depuis un certain temps au
fléchage et aux éventuelles intersections. Comme je ne vois plus
aucun marquage durant de longues minutes, ni d'autre coureur, ni de
voiture suiveuse, je commence à me demander si je ne me suis pas
perdu dans la nuit, l'idée de l'abandon me traverse, et je me donne
encore cinq minutes avant de faire demi tour. Heureusement un CP est
en vue après le virage suivant, ouf pas besoin de ça en ce moment !
C'est dans cet état que je rattrape
Daniel. Cela me fait du bien de discuter en Français, et me permet
de relativiser mon état car il a les jambes en bois depuis le 30e km
et doit marcher assez souvent pour les soulager. Nous progressons
maintenant en légère montée sur un chemin de terre, mais assez
roulant tout de même vu que c'est sec.
C'est à ce niveau que j'ai mon 4e sac.
Je me change pour un T-shirt manches longues (ça tombe bien car il
fait un peu plus frais), mais je zappe pour le changement de
chaussettes : je préfère attendre le prochain CP médicalisé
même si c'est bien loin. Je crois que c'est par là que je bois un
premier café.
Un peu plus tard je laisse filer Daniel
qui va encore un peu vite pour moi. Le chemin laisse à nouveau place
au bitume et c'est la descente vers Malendreni. Mes idées d'abandon
se dissipent peu à peu. Nous formons un petit groupe de trois ou
quatre coureurs dont une féminine. Le fait d'être filmé à ce
moment nous fait accélérer durant quelques minutes, cela fait du
bien et me redonne un peu confiance à ce moment là, je vais au
moins aller en bas, je sais qu'il y a une belle ambiance à
Malendreni, et la possibilité d'une bière car le CP est dans une
taverne.
C'est dans cet état d'esprit davantage
positif, et sans doute un peu requinqué par le café que j'arrive là
bas. En effet, il y a du monde, ça rebooste, maintenant je vais au
moins aller jusqu'à la montagne pour voir comment c'est là bas, à
peine 20 km. J'en oublie même de demander ma bière (j'en demanderai
à un ou deux autres endroits, mais il n'y en avait pas) et je me
contente d'un café (j'en prendrai un tous les 2 ou 3 CP durant toute
la nuit...). La traduction française approximative des encouragements sur la banderole m'amuse "Bon accueil et heureuse résiliation", non aucune envie de résilier, je veux continuer, j'imagine qu'il fallait lire "Bienvenue et bonne fin de course"...
Malandreni – Mountain base (CP N°47,
km 159,5)
Après Malandreni, la route commence à
s'élever, d'abord en douceur. Je suis de mieux en mieux, la douleur
au pied s'atténue. Je cours quasiment toujours seul et cela me plaît
à ce moment là. J'ai l'étrange sensation que je cours en terrain
connu, il faut dire que depuis le temps que je me documente, le
parcours ne m'est pas inconnu, cela me motive davantage à voir cette
montagne tant redoutée par les « rase-bitume » de mon
espèce.
Il y a pas mal de CP dans des villages
dans cette section du parcours. Souvent des enfants accueillent les
coureurs à l'entrée du village et les accompagnent jusqu'à la
sortie. Ceci donne un coté encore plus émouvant et personnel à la
course.
Je suis à nouveau concentré et
attentif au marquage au sol. A une intersection, il y a des signes en
travers de la route (des croix qui suggèrent que ça n'est pas la
bonne direction, mais pas entendu parler de cette signalétique au
briefing), mais de flèche « SP » indiquant la direction
à suivre point... Une voiture arrive à ce moment là, on me dit en
Français (j'apprendrai plus tard que ce sont les suiveurs de Paskal)
qu'il faut aller tout droit car des coureurs sont partis dans cette
direction. Je suis pourtant persuadé qu'il faut aller à droite car
ça monte sec par là, et d'après ma connaissance livresque du
parcours, c'est par ici que commence la route d'accès à la
montagne. Après examen attentif du sol à la frontale, il y a en
effet une flèche à la peinture bien défraîchie indiquant la
droite. Après avoir dit aux suiveurs d'aller rattraper les coureurs
partis dans la mauvaise direction, je passe en mode marche rapide
dans la pente.
A un CP, je reconnais une légende du
Spartathlon, le Finlandais Seppo Leinonen qui a déjà terminé 15
fois l'épreuve en 26 participations consécutives, et qui maintenant met son expérience en tant que
bénévole sur la course. Il m'encourage du regard et d'un « good
job ! » qui fait chaud au cœur. Je le retrouverai ainsi
plusieurs fois au cours de la nuit. Chaque CP est une oasis dans la
nuit.
Je suis maintenant sur une route de
montagne en lacets, je monte d'une marche assez énergique (6,5 7
km/h) qui me permet même de dépasser quelques coureurs. Je relance
juste en courant un peu quand la pente est moins forte, ça détend
les jambes. J'ai tout loisir de regarder vers le haut : bien au
dessus de nous une guirlande de points verts indique le sentier qu'il
faudra prendre une fois le CP à la base de la montagne (« Mountain
Base » atteint).
Au CP précédent, j'aperçois Le
Hongrois Andras Low (il ne doit pas être loin du record du nombre de
Spartathlon terminés) allongé sur une couchette. Je sais qu'il est
coutumier de la progression par à coups et qu'il devrait bientôt
repartir fort. A mesure que la route s'élève il fait plus frais,
cela m'incite à garder un bon rythme afin de ne pas me refroidir. Je
joue avec le cache sur ma frontale dont je viens juste de découvrir
l'existence, une sorte de diffuseur qui quand on l'abaisse éclaire
sur un champ plus large mais moins loin, ce qui est plus agréable
quand on marche.
Je parviens à ce CP N°47 gonflé à
bloc, je passe sur le tapis sous les applaudissements, et ne regarde
même pas quelle est mon avance sur la barrière horaire. Comme
beaucoup de coureurs, c'est là que j'ai placé mon plus gros sac.
Après l'avoir récupéré, je m'assois tranquillement sur une
chaise. Il y a vraiment pas mal de concurrents (soit assis, soit
allongés sous une tente) dont pas mal semblant en hypothermie, de
suiveurs, de bénévoles, et de staff médical ici. Il fait frais,
mais je n'ai pas froid. J'accepte tout de même une couverture sur
mes épaules le temps d'enfiler mon coupe-vent. Je demande s'il fait
froid en haut, la réponse étant « Yes », j'enfile des
gants légers et je mets un bandeau pour les oreilles. Sans
assistance, cela prend un peu de temps pour ces opérations, car avec
la fatigue les gestes, et surtout le cerveaux sont lents, il faut
réfléchir à ne rien oublier et à tout remettre dans le bon ordre
(porte-dossard, porte bidon, brassard, casquette, frontale). On
m'apporte ensuite un Nème café, les bénévoles sont vraiment aux
petits soins pour les coureurs. Je m'offre quelques secondes de
relaxation en fermant les yeux avant de me lever pour m'élancer vers
là haut après avoir remercié les bénévoles, toujours sous les
applaudissements. C'était mon plus long arrêt jusqu'à présent,
mais je ne pense pas m'être attardé plus de 10 minutes.
<<Photo CP N°47>>
Mountain base – Sangas (CP N°49, km
164,5)
Le sentier est vraiment escarpé, le
sol devient rapidement instable, je dois faire très attention où je
pose les pieds car par endroits il y a de gros cailloux, presque un
pierrier. Parfois je redescends un peu en arrière, c'est limite s'il
ne faut pas s'aider des mains, je me félicite de ne pas avoir pris
mes DS Trainer... Bien sûr il n'est pas question de courir, ni même
de marche rapide pour moi. Le sentier est étroit, délimité par de
la rubalise quand c'est dangereux, de nombreuses lumières vertes
rendent le parcours féerique, mais hors de question de regarder
autre chose que ses pieds sous peine de chuter.
La montagne (après le CP N°47, vers le km 160) |
Le chemin pour descendre est moins
pentu et bien plus large que celui pour monter, mais le sol est tout
aussi instable. Je préfère donc progresser en marche rapide mais
souple afin d'éviter tout risque de chute plutôt que d'essayer de
courir, bien que cela soit tout à fait faisable (deux fusées me
doubleront sur cette section, mais je dépasserai l'Américaine
Brenda Caravan encore bien moins à l'aise que moi sur ce terrain).
La vue sur Sangas est superbe, le ciel est très étoilé, mais à
chaque fois que je lève la tête je manque de m'étaler, je reste
donc concentré sur la pose des pieds. Je profite néanmoins d'une
pause technique pour m'en mettre plein les yeux tout en contrôlant
la teinte ; je prends garde à boire assez pour effectuer ce
type de pause au moins toutes les deux heures, pour le moment c'est
parfait, ni trop clair, ni trop foncé.
Je suis soulagé de regagner enfin la
terre ferme (le bitume), je pense avoir mis une bonne heure pour faire la montée et la descente, soit à peine 5 km.
Après avoir rempli mon bidon (décidément les photographes ont
l'air d'aimer ça), j'ôte mon bandeau et mes gants, mais je garderai
encore le coupe vent car l'air est frais, ce que j'apprécie à ce
moment là.
Sangas – Tégée (CP N°60, km 195,3)
Le terrain est maintenant relativement
plat, mon allure assez régulière, toujours peu de marche. C'est
dans cette section que peuvent survenir les hallucinations, je
comprends vite pourquoi : la végétation en bordure est propice
à toutes sortes d'interprétations avec la lumières des frontales
et des phares des véhicules, il est facile de se laisser aller à
voir divers animaux. J'ai plusieurs fois l'impression de voir courir
quelqu'un devant moi, mais il n'y a jamais personne.
Je rejoins à nouveau Daniel qui en
fait n'avait pas dû me prendre beaucoup de temps. Nous partageons à
nouveau quelques kilomètres, le temps passe relativement vite. En
discutant, nous calculons que nous sommes sur une base de moins de 31
heures.
Depuis un moment ma frontale éclaire
moins fort, il faut dire que je n'ai pas trop fait attention à
baisser la puissance ou à l'éteindre quand c'était possible. Je
dois juste être encore plus attentif au fléchage, heureusement, le
jour va se lever d'ici deux ou trois heures.
Au CP N°57 j'ai mon avant dernier sac
qui contient, outre mes trois recharges énergétiques, un T-shirt
manches courtes, de la crème solaire, et un bidon additionnel de 400
mL que je peux accrocher à ma ceinture (Simple Hydratation). Bien
entendu comme il fait encore nuit noire, qu'il fait frais, et que je
suis bien, je laisse tout cela dans le sac. On m'a aussi proposé
deux ou trois fois des capsules de sel, que j'ai systématiquement
refusées pensant que le sodium contenu dans mes boissons
énergétiques est largement suffisant.
CP N°56 (km 183,5) |
J'arrive à Tégée et je passe sur le
tapis du CP N°60 tout juste sous les 24 heures, il ne fait pas
encore jour. J'aurais signé des deux mains avant la course pour être
à cet endroit avec ce chrono, et surtout en bon état de marche avec
l'envie d'aller de l'avant. Avec 12 heures pour faire 52 km, je
pourrais même me permettre de marcher jusqu'à Sparte, mais je veux
courir. Par contre, au niveau de la durée de course je rentre dans
l'inconnu, n'ayant jamais dépassé les 24 heures, durée que
j'atteins en fait seulement pour la seconde fois. Mais pour le moment
je suis encore relativement facile, je cours presque tout le temps,
surtout que depuis le franchissement de la montagne, c'est vraiment
roulant.
Tégée – Monument (CP N°68, km
223,4)
Le ciel commence à s'éclaircir à
l'est, il faut profiter du peu d'heures de fraîcheur restant pour se
rapprocher le plus possible de de Sparte avant que le soleil ne
reprenne le dessus.
La route ne va pas tarder à s'élever
(vers le 200e km je crois), la marche rapide est à nouveau de
rigueur ici, il faut garder des forces pour la dernière ligne droite
pour redescendre sur Sparte. De la route, le panorama est parfois
superbe, surplombant des vallées nappées de brume, brume qui nous
aura heureusement épargnés sur le parcours.
Je rattrape l'Américain Andrei Nana à
un CP. Pour lui c'est le contraire, il attend la chaleur avec
impatience, il a horreur du froid et a beaucoup souffert durant la
nuit. Un petit convoi de coureurs s'est formé, nous progressons en
alternant marche et course au gré de la pente. La route est peu
agréable, le trafic augmente, pas mal de poids lourds lancés à
grande vitesse. C'est même dangereux lors de virages à gauche car
il y a peu d'espace entre la roche et le bitume.
Il fait désormais moins froid et je
laisse coupe vent et frontale aux bénévoles à un CP, les manches
longues suffisent car il n'y a pas de vent. L'appel de la nature
commence à se faire sentir, j'accélère un peu pour trouver un coin
plus ou moins propice. En me relevant, je suis pris d'une violente
crampe du diaphragme, y étant habitué, quelques secondes de
profonde respiration ventrale suffisent à la faire passer. Je n'ai
aucun soucis pour repartir, les jambes répondent bien, je me sens
plus léger et je recolle facilement au petit groupe qui m'avait
dépassé entre temps.
Le soucis pour moi c'est qu'il commence
déjà à faire relativement chaud, je retrousse mes manches. Je
commence à regretter de ne pas avoir remis de crème solaire plus
tôt. Nous atteignons enfin ce qui semble être le sommet de la
montée, mais il y a encore pas mal de kilomètres de toboggans avant
d'amorcer la descente sur Sparte.
Quand je parviens au CP N°66 où j'ai
mon dernier sac, ça n'est que le milieu de la matinée, mais il fait
déjà chaud, beaucoup plus chaud que la veille à la même heure car
il n'y a pas la mer pour tempérer. Je suis soulagé de m'asseoir à
l'ombre et de pouvoir enfiler un maillot manches courtes. Je remets
enfin de la crème solaire. Je m'applique pour le visage, mais je
bâcle le reste, j'oublie encore les mollets. Je commence à
regretter de ne pas avoir mis mon 2ème bidon ici plutôt que 30
kilomètres plus tôt.
Le moral est encore bon, bien que la
fatigue soit maintenant sensible, je ne prends plus de café depuis
le début de la matinée. En fait je n'ai jamais eu envie de dormir à
part au tout début de la course. J'ai tout de même l'impression de
me traîner un peu, mais c'est le cas des autres concurrents qui sont
avec moi. J'ai la chance de ne quasiment pas avoir de douleurs
musculaires. Tout est également nickel au niveau tendineux, mes
pieds semblent également en assez bon état. Pour le moment, je
pense surtout à parvenir au début de la descente sans m'entamer
davantage, je commence à visualiser Léonidas qui se rapproche.
Je me prends même à regarder mon
classement à un CP (à chaque CP un bénévole note le N° de
dossard sur une feuille), 29eme. Je sais que mon seul objectif est
d'arriver, mais je ne peux m'empêcher de penser que vu le bon état
de mes quadriceps par rapport à la plupart des coureurs autour de
moi, je vais bientôt pouvoir me laisser glisser tranquillement dans
la pente et gratter quelques places d'ici Sparte.
Peu après ce CP, ça commence à
descendre, mais bientôt ça remonte encore, j'ai moins de jus, je
marche mais moins vite qu'avant, il fait chaud, cette grande route
sans fin et sans ombre me saoule... Enfin cela commence à
redescendre, je reprends ma course, prudemment pour le moment, la
pente est faible, la route est encore longue.
Sur les hauteurs de Sparte |
Métaphysique => Sparte
Je suis seul. C'est arrivé presque
d'un coup, je ne sais plus exactement où, ni quand ; mais je
pense en gros un peu après avoir avoir débuté la descente sur
Sparte : plus moyen de courir, ni même de marcher aussi
rapidement que je le pourrais musculairement. Je tente bien de
relancer , mais au bout de quelques dizaines de mètres de trot
je me sens mal, au bord de la chute. Certes, j'ai toujours des jambes
de feu, mais le soucis c'est que mon sang est également en fusion,
et que mon cerveau n'est guère plus frais. Sinon je n'ai mal nulle
part, si ce n'est aux mollets car les coups de soleil commencent à
tirer sur ma peau.
Je fais encore illusion au CP N°69
tant au niveau classement que chronométriquement au dernier tapis de
chronométrage avant l'arrivée car je marche depuis peu, je me dis
alors que tous ceux qui me suivent sur Internet vont se faire du
soucis pour la fin...
J'ai bien dû merder quelque part, tout
était presque trop facile et trop « comme prévu »
jusqu'à présent, comme si j'allais faire 31 heures comme ça du
premier coup sans le mériter vraiment. L'analyse de mes erreurs
viendra plus tard, Sparte est encore à un bon 20 kilomètres, 20
bornes dont une grande majorité en descente, mais quasiment sans
ombre, il doit juste faire un peu plus chaud que le premier jour,
peut-être 33 ou 34°C, mais il me semble que c'est bien plus, il n'y
a pas d'air ou si peu.
Le soleil de Laconie me rappelle à ma
condition de simple mortel. La partie mentale de la course commence
vraiment, si la distance restant à parcourir semble raisonnable, le
temps va se compter en heures. Je ne sais même pas si je vais
pouvoir maintenir une allure de marche décente (disons un bon 5
km/h) et si ça ne va pas baisser, un peu comme lors de mon abandon à
l'Ultrabalaton en 2012. Je pense un moment au paradoxe de Zénon, ne
jamais arriver à destination, car il va toujours rester la moitié,
puis la moitié de la moitié, … à parcourir. Je pense un moment à
faire une pause de 30 minutes à l'ombre à un CP et m'allonger afin
de tenter de faire baisser la température du moteur, mais j'ai peur
de ne pas réussir à repartir, donc tant que ça tient à cette
vitesse, je vais m'arrêter le moins possible juste pour m'éponger,
m'asseoir un peu à l'ombre, prendre de la glace dans la casquette,
boire, emporter une bouteille, mais désormais je pisse immédiatement
tout ce que je bois et c'est transparent, pas bon...
Je passe une bonne partie du temps à
estimer la durée qu'il me faudra pour atteindre le prochain CP. Je
découpe par tranches de 500 mètres, parfois de 100 mètres. Je fais
et refais des estimations de mon heure d'arrivée en admettant que je
tienne jusqu'au bout à cette allure. Dans ce cas j'ai le temps, je
devrais rentrer sous les 33 heures si je ne traîne pas trop aux CP.
Je n'ai durant toute ces heures jamais pensé à abandonner, on ne
jette pas l'éponge sur cette course, surtout si près du but.
Parfois un coureur me double,
m'encourage, puis disparaît assez rapidement dans un virage. Des
voitures klaxonnent, je réponds par un faible salut, mais le bruit
me fait mal. Guilhen me rejoint, je lui fait par de mon état et le
laisse filer faire Sparte. Je suis très motivé, j'accepte désormais
ma condition, c'est presque plus une sorte de sérénité que de la
résignation, les mots humilité et patience prennent maintenant tout
leur sens.
Je me souviens avoir lu un article de
Rune Larsson (maintes fois finisher et plusieurs fois vainqueur ici)
qui disait que son objectif c'était l'hôpital de Sparte, ça
m'avait faire rigoler et un peu effrayé, maintenant je suis
exactement dans cette situation...
Une voiture de l'organisation passe au
ralenti, m'observe, on me demande si ça va, échange de quelques
mots ; mes réponses doivent être cohérentes, la voiture
repart.
Le panorama avec la vue sur la vallée
de l'Eurotas est magnifique, mais j'en profite peu, à part mes
pensées et mes calculs, je chasse les rares zones d'ombre en
traversant la route. Il n'y a pas trop de circulation (en fait c'est
l'ancienne route), mais les véhicules roulent vite, et comme je
traverse en marchant, je dois être attentif et anticiper de loin.
Chaque CP est une oasis merveilleuse, de part l'ombre prodiguée par
un parasol, l'accueil chaleureux, l'eau, la glace, une chaise. Je
mémorise la distance jusqu'au prochain CP. Parfois 2 km, une fois
4,7 km, une éternité, une grande bouteille d'eau suffira tout juste
en plus de mon bidon.
CP N°70 / km 231,4 |
Au CP N°72, divine surprise, sur le
panneau c'est écrit qu'il reste 9,1 km au lieu des 11,0 que j'ai
notés (à partir du roadbook), presque 30 minutes de moins que prévu
à coller au bitume, le moral remonte...
Jusqu'au bas de la descente
à à l'entrée dans Sparte où la distance restante correspond à
nouveau à ce qui est indiqué sur le roadbook !
Panneau du CP N° 72 (en fait km 236,6 et 11,0 km restants) |
L'entrée dans Sparte ne sonne pas du
tout la fin des hostilités, au contraire, c'est plat, donc je
surchauffe autant touts en progressant encore plus lentement, et
toujours pas d'ombre sur une grande route longeant la ville. C'est
écrit « Spartathletes Welcome to Sparta » en grand sur
un pont, ça me fait presque rire, il a une sacrée allure le
bientôt-spartathlète...
Entrée dans Sparte |
Encore quelques marches... |
L'après course
Je reprends mes esprits, une jeune
fille me tends la coupe contenant l'eau sacrée de l'Eurotas, je
bois, je me sens bien. Puis je reçois la couronne de feuilles
d'olivier.
Et la couronne d'olivier ! |
Heureusement, le lendemain mon
organisme fonctionne à nouveau normalement et je me goinfre au
petit-déjeuner. Je m'aperçois que la veille, pendant qu'on me
raccompagnait à l'hôtel ma couronne d'olivier s'est égarée,
dommage car c'est pour moi le symbole par excellence de ceux qui
parviennent à Sparte. Nous allons récupérer nos drops bags, puis
faire quelques photos souvenir et boire une bière avec Jacky, les
jambes sont bonnes, aucune difficulté pour grimper sur la statue...
Le déjeuner offert par le maire de
Sparte aux environs de la ville est bon et très sympa, surtout
arrosé d'un certain nombre de binouzes. Le retour sur Athènes en
bus l'est moins, la clim ne fonctionne pas, tout le monde a les pieds
qui gonflent.
Le lendemain soir, la cérémonie
officielle a lieu dans les environs d'Athènes. C'est l'occasion de poursuivre la fête, de recevoir la médaille et le diplôme, de faire quelques photos. C'est déjà fini.
Épilogue
Comme j'attendais beaucoup du
Spartathlon, y pensant presque tous les jours depuis plus de trois
ans, j'avais à la fois peur d'être déçu par la course et
également de n'avoir plus envie de rien si je réussissais à
terminer. En fait, rien de tout cela ne s'est produit, l'aventure
était encore plus belle que tout ce que j'avais pu imaginer, et j'ai
toujours autant envie de courir, et surtout sur ce type de course en
ligne longue sur route. Je pense que ce format est fait pour moi,
l'inverse je ne sais pas encore...
Je tiens également à préciser que je
n'ai utilisé aucun médicament (anti-douleurs, anti-crampes, ou
autres) pendant la course (bon j'ai bu pas mal de café...), ni avant
d'ailleurs. J'ai été en permanence à l'écoute de mon corps, y
compris dans les moments difficiles. Je pense que c'est essentiel
pour être honnête avec soi-même et envers les autres, rester en
bonne santé, et pouvoir courir longtemps encore.
Donc je reviendrai... en 2014 ou en
2015, pourquoi pas avec une équipe d'assistance histoire de vivre le
Spartathlon autrement, j'ai envie de ramener cette couronne
d'olivier, et surtout de finir plus proprement la course, de
davantage profiter de l'arrivée.
Remerciements
Je tiens à remercier toutes celles et
ceux qui ont contribué de près ou de loin à ce que ce rêve se
concrétise.
Merci à tous les coureurs Français du
Spartathlon, à tous les autres coureurs, finishers ou pas, ainsi
qu'à leurs accompagnateurs qui nous ont encouragés.
Merci aux organisateurs et à tous les
bénévoles, vous êtes formidables et sans vous le Spartathlon
n'existerait pas.
Merci aux spectateurs, notamment les
enfants, vos encouragements et votre enthousiasme nous transportent.
Merci à tous ceux qui ont suivi ma
progression sur Internet (forum ADDM, XVe Athletic Club entre
autres).
Merci aussi pour toutes les photos, que j'ai récupérées à droite et à gauche...
Merci aussi pour toutes les photos, que j'ai récupérées à droite et à gauche...
Remerciements spéciaux à tous ceux
qui m'ont aidé en me faisant profiter de leur expérience, notamment
Gilles, JB, et Denis Dupoirieux.
Et merci à ma femme et à mon fils qui
ont supporté toute cette longue préparation.
Désolé, j'ai dû oublier pas mal de
monde...
Article à suivre : Debrief
technique : Analyse de ma course (allures, répartition course /
marche / arrêts), erreurs commises. Points forts et points faibles.
Comment mieux me préparer et mieux gérer la course. Quel chrono est
possible en optimisant ?
Jean-Philippe quelle aventure et merci pour ces heures passées à suivre ta progression la nuit fut palpitante ....suis certain qu'après cette "petite reco " la prochaine fois le résultat te comblera.
RépondreSupprimerBRAVO et MERCI
Bravo Jean-Philippe, tu es allé te la chercher celle-là. Content de savoir que tu as trouvé que "l'aventure était encore plus belle que tout ce que tu avais pu imaginer", je suis bien d'accord avec toi.
RépondreSupprimerTu as été costaud dans ta tête et dans ton corps et tu es resté fidèle à tes idées, c'est doublement important. Content d'avoir partagé cette belle aventure, à bientôt j'espère. Prends soin de toi.
Très beau CR ! C'est long et pourtant ça se lit d'un coup et on s'apperçoit trop tôt que c'est déjà fini. C'est tellement beau à lire et instructif ! Merci beaucoup JP pour avoir pris le temps de rédiger ce compte rendu. Encore un immense bravo pour ta course, mais aussi ta préparation depuis des années en y pensant presque tous les jours. C'est super. Toutes mes félicitations.
RépondreSupprimerBravo Jean Philippe
RépondreSupprimerEn démarrant la CAP en 2008, jebsuis tombé quelques temps plus tard sur ton blog quand je cherchais des infos sur les allures.(au passage GRAND merci de faire partager tes outils/calculateurs au public)
Je suis donc depuis quelques temps ta quête du Graal, TON Graal, à savoir ce Spartathlon
Un énorme bravo pour y être parvenu.
J'en avais la chair de poule à la fin de ton récit, très riche en émotions.
Merci donc
David
au travers de ton blog
Bravo Jean-Philippe, tu as bien mérité de toucher le pied de Léonidas. C'était une belle course (avec ce qui faut de douleurs...). Beaucoup aurait baissé les bras, même à 20 bornes de l'arrivée.
RépondreSupprimerChapeau M. JP !
Grand merci à toi pour ce beau CR.
Bravo pour cette épopée et merci de l'avoir partagé ici !
RépondreSupprimerQuelle aventure ! Quel CR, on en a la chair de poule, et les photos n'en sont que plus émouvantes. On vit ta course ! Immense bravo JP, tu honores la course à pied et le club du XVe en particulier, et reste un exemple à suivre pour ta ténacité, ton courage et ta méticulosité (mais pas pour le kilométrage hein, pas à la portée de tout le monde quand même :-)). Mais comment as-tu pu parcourir plus de 150 bornes avec des ampoules (tu auto-cicatrises ?) ? :-D
RépondreSupprimerChapeau bas !!
Tu en as rêvé, tu l'as étudié, disséqué et abordé avec toute l'humilité et le respect qui te caractérise! Bravo
RépondreSupprimerAprès lecture, nul doute que tu y reviendras et que tu y performeras...
Chapeau bas l'analiste de l'ultra :-)
Fabien
Bravo Jean-Philippe !
RépondreSupprimerSuperbe récit de ce premier Spartathlon réussit qui vient conclure (conclure ?...) 3 années de préparation méticuleuse que tu as bien voulu partager avec nous. Je suis vraiment impressionné par ta précision quasi mathématique (ici et dans d'autres récits que tu as posté sur Kikourou), que tu transposes avec succès à un sport aussi aléatoire que l'ultra.
Bonne continuation, on attends les analyses à froid...
Chapeau Bas. Tu l'as voulu et tu es parvenu à tes fins, un gros bravo. Merci pour ce CR. Humilité et volonté puis l'ivresse du bonheur, tout y est. Remets toi bien et continues à nous faire partager ton expérience.
RépondreSupprimerMerci
Popol24
Je ne regrette pas la lecture de ce récit, cela m'a rappelé de bons moments, on oublie vite les mauvais... bravo à toi pour cet effort sur cette course mythique, il fallait aller au bout, tu l'as fait ! Denis alias Cerfvolant
RépondreSupprimerun seul mot à dire, RESPECT
RépondreSupprimerOui, RESPECT et bravo, bravo, bravo.
RépondreSupprimer